JOURNAL DE BORD D'UNE APICULTRICE :  L'éveil

Je coupe le contact de la voiture et ferme les yeux pour tenter de percevoir le bourdonnement des ruches.

Depuis quelques jours, la lumière est plus vive, le chant des oiseaux plus enjoué. Aux abords des sentiers, fleurissent déjà quelques pissenlits. Leur jaune éclatant contraste avec les tapis de feuilles mortes, comme un symbole annonciateur du retour du printemps. 

Au loin, les Pyrénées sont encore emmitouflées d'un épais manteau blanc mais le vent d'Otan qui soufflait depuis quelques jours s'est enfin calmé, laissant place à un généreux soleil. Le vol pressé et vrombissant d'un bourdon passant tout près me fait sursauter; la tiédeur de l'air l'a sans doute réveillé, le poussant à sortir de sa cachette hivernale en quête de nourriture. 

C'est une journée parfaite pour la première visite de l'année au rucher. Ce moment, je l'attends depuis des semaines avec autant d'impatience que de crainte. A l'heure de la mise en hivernage, en octobre dernier, les ruches étaient populeuses et lourdes de miel. Mais je sais que l'hiver peut être redoutable pour les abeilles; non pas à cause du froid mais de phénomènes parfois inexpliqués qui, certaines années, déciment des ruchers entiers que l'on retrouve exsangues à l'orée du printemps. 

J'enfile ma combinaison blanche et allume lentement l'enfumoir. L'effluve suave qui s'en échappe me transporte au cœur des journées brulantes d'été, lorsque la saison du miel bat son plein. Ce souvenir me donne du courage. Je me dirige en silence vers le rucher, essayant à chaque nouvelle enjambée de distinguer le va et vient des abeilles. L'une d'elles croise mon chemin et tout d'un coup, je les entends. Je perçois, de plus en plus nettement, le ronronnement sourd d'un rucher en pleine effervescence. Je hâte alors mon pas et enfin je les vois, se pressant de ramener avec elles de lourdes pelotes de pollen.

Essayant de ne pas les déranger, j'entrouvre rapidement le toit des ruches pour évaluer la force de chaque colonie, puis je la soupèse afin de m'assurer qu'elle aura suffisamment de provisions pour attendre les premières miellées.  Le rucher est presque indemne en cette fin d'hiver. J'envisage pendant un court moment avec enthousiasme la saison qui démarrera bientôt.

Enfin, libérée, je m'assoie sur l'herbe. Les allées et venues régulières des abeilles me bercent.  Je reviens à l'essentiel; aux raisons qui m'ont amené à choisir ce métier. Je souhaitais être réellement en lien avec la nature, comprendre ce qui anime les êtres vivants... les abeilles m'enseignent tellement de choses sur ce chemin. 

Je leur suis infiniment reconnaissante et, en cet instant, je savoure pleinement le bonheur d'être apicultrice.